Munir Bashir : le maître irakien du oud qui a enchanté Paris

Munir Bashir : le maître irakien du oud qui a enchanté Paris
Munir Bashir, maître irakien du oud dont le récital parisien reste une page immortelle de la musique orientale.

Munir Bashir : le maître irakien du oud qui a enchanté Paris

Munir Bashir, figure universelle du oud, dont le concert parisien demeure le plus grand récital oriental jamais donné en France.

Ali Al-Hussien – PO4OR, Portail de l’Orient

Il existe des musiciens dont la présence dépasse l’instrument, dont chaque note semble porter un monde entier. Munir Bashir, maître incontesté du oud irakien, appartient à cette lignée rare d’artistes capables de transformer le silence en poésie et la tradition en souffle universel. Né à Mossoul, forgé par l’école irakienne du maqâm, il a fait du oud une langue planétaire. Parmi toutes les villes qu’il a traversées, Paris occupe une place particulière. Elle fut non seulement un théâtre majeur de son art, mais aussi le lieu où son génie a trouvé l’une de ses réceptions les plus profondes.

Un héritier de Bagdad, architecte d’un son nouveau

Munir Bashir ne s’est jamais contenté d’être un interprète virtuose. Il a recréé un style, une manière d’habiter le maqâm. Formé dans une famille où la musique était plus qu’un art, presque une respiration quotidienne, Bashir a développé un langage sonore à la fois ancré dans la tradition mésopotamienne et ouvert sur les horizons du monde.
Sa musique n’était pas un geste nostalgique. Elle était un mouvement vivant, un acte de création. À travers ses improvisations, il a introduit une dimension méditative, une profondeur intérieure qui ont immédiatement captivé les publics européens.

Paris, scène d’un moment historique

Parmi les grandes capitales musicales, Paris fut celle où la rencontre avec Munir Bashir a pris la dimension d’un événement. Au milieu des années 1980, il y donne un récital devenu légendaire, considéré aujourd’hui comme le plus grand concert de oud oriental jamais présenté en France.
Dans une salle où le silence prenait une densité presque mystique, Bashir déployait un art d’une pureté absolue. Chaque note était un souffle, chaque silence une vibration. Le maqâm, souvent perçu en Europe comme un code complexe, devenait soudain un horizon sensible, une géographie intérieure.
Ce soir-là, Paris n’a pas simplement écouté un musicien. Elle a découvert une vision. Une manière de dire le monde à travers un instrument millénaire.

Un hommage français qui éclaire son héritage

La profondeur de l’impact de Bashir à Paris se mesure également à la qualité des analyses qu’il a inspirées. L’une des plus remarquables est celle du musicologue français Laurent Aubert, publiée dans un catalogue consacré au concert parisien du maître. Ce texte reste aujourd’hui une référence incontournable pour comprendre la singularité de son art.

« Munir Bashir se montre au-delà de toute critique. Austère alchimiste des sons et paradoxalement à la fois le plus traditionnel et le moins conventionnel, le plus individualiste et le moins iconoclaste des musiciens arabes contemporains. Chacune de ses improvisations atteste l’immensité de son potentiel créatif ; or celui-ci se manifeste toujours à l’intérieur des plus stricts canons de la science du maqâm, mais d’une manière unique, inimitable.
Qu’il plonge au plus profond de son inspiration ou qu’il évoque en passant le contour d’un air populaire irakien, Bashir se situe au-dessus de la mêlée. Son art épuré révèle la dimension ésotérique de la musique proche-orientale. »

Laurent AUBERT, Paris, 1988

Ce témoignage cristallise ce que la critique parisienne a immédiatement perçu : l’art de Munir Bashir n’était pas seulement une performance musicale, mais une révélation esthétique. Une fenêtre sur une profondeur spirituelle rarement atteinte dans la musique orientale présentée en Occident.

Un dialogue entre deux horizons

Les années parisiennes de Bashir ne se limitent pas à ses concerts. Elles furent marquées par des rencontres fécondes avec des compositeurs contemporains, des ethnomusicologues et des instrumentistes européens.
Paris aimait chez lui cette capacité de concilier rigueur et liberté, tradition et universalité. Le oud, sous ses doigts, devenait un miroir où se reflétaient deux mondes qui ne se confrontaient pas, mais se complétaient.
Bashir ne cherchait pas la fusion artificielle. Il instaurait plutôt une conversation subtile entre le maqâm irakien et la sensibilité européenne, une conversation fondée sur le respect, l’écoute et la vérité intérieure.

Une modernité née de la fidélité

La grande force de Munir Bashir réside dans cette modernité paradoxale : il innove en restant fidèle.
Dans un siècle où la fusion était souvent synonyme de rupture ou de provocation, Bashir s’en détourne. Il crée l’avant-garde en approfondissant la tradition, en révélant sa capacité infinie à se renouveler.
Son jeu, à la fois épuré et incandescent, fascine les critiques français qui y voient un art de la contemplation, une philosophie du son.

Un héritage vivant entre Tigre et Seine

L’influence de Munir Bashir demeure immense. Aujourd’hui encore, les musiciens européens qui se tournent vers le oud passent, tôt ou tard, par l’étude de son œuvre. À Paris, des écoles et conservatoires analysent ses improvisations comme des modèles de construction modale.
Son fils, Omar Bashir, a poursuivi ce dialogue entre l’Irak et l’Europe, mais l’empreinte du père reste unique, fondatrice. Son récital parisien continue d’être évoqué comme une nuit où le Proche-Orient et l’Occident se sont rejoints dans un même souffle.

Munir Bashir n’a pas seulement joué à Paris.
Il y a inscrit une page immortelle de l’histoire musicale mondiale.

Son oud, traversant le Tigre et la Seine, continue de rappeler que la musique véritable ne connaît ni frontières ni langues. Elle ne connaît que l’âme humaine.

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