Mustapha Hasnaoui Le documentaire comme écriture du réel
Dans le paysage du documentaire contemporain, certaines trajectoires échappent aux catégories usuelles. Ni strictement nationales, ni véritablement médiatiques, elles s’inscrivent dans un espace plus discret, mais plus exigeant, celui de l’écriture du réel. Mustapha Hasnaoui appartient à cette lignée. Né en 1952 à Sfax, en Tunisie, auteur-réalisateur de documentaires de création, il a construit une œuvre qui refuse la logique du format pour privilégier celle du regard, du temps long et de la pensée.
Chez Hasnaoui, le documentaire n’est jamais un simple outil d’information. Il est une forme d’écriture à part entière. Une écriture visuelle et sonore qui interroge le monde, ses fractures, ses continuités, et surtout les manières de les représenter. Cette conception place son travail à distance du documentaire télévisuel standardisé, pour l’inscrire dans une tradition intellectuelle et artistique proche de l’essai.
Écrire le réel, plutôt que le couvrir
La notion de « documentaire de création » n’est pas, chez Mustapha Hasnaoui, une étiquette institutionnelle. Elle correspond à une pratique concrète. Ses films ne cherchent ni l’exhaustivité ni l’efficacité immédiate. Ils privilégient l’observation, la durée, la complexité. Le réel n’y est jamais surplombé par un discours explicatif, mais approché par touches successives, par fragments, par agencements sensibles.
Cette écriture documentaire repose sur une attention particulière aux espaces, aux corps, aux paroles. Le montage n’est pas un simple outil de structuration, mais un lieu de pensée. Il organise les tensions, les silences, les contradictions. En ce sens, Hasnaoui se situe dans une tradition documentaire où filmer revient moins à montrer qu’à questionner.
ARTE, un espace de cohérence
La collaboration régulière de Mustapha Hasnaoui avec le magazine Métropolis sur ARTE n’a rien d’anecdotique. Elle révèle une affinité profonde entre son approche du documentaire et l’exigence éditoriale de la chaîne franco-allemande. ARTE, et plus particulièrement Métropolis, a longtemps constitué un espace rare où le documentaire culturel pouvait se déployer sans être soumis à l’urgence de l’audience ou à la simplification des formats.
Dans ce cadre, Hasnaoui trouve un terrain propice à son écriture. Ses films dialoguent avec une tradition européenne du documentaire d’auteur, attentive aux formes, aux contextes et aux circulations culturelles. Cette relation n’est pas celle d’un prestataire à une chaîne, mais celle d’un auteur reconnu pour la singularité de son regard.
Entre commande et autonomie
Parallèlement à ses films de création, Mustapha Hasnaoui a réalisé des œuvres de commande, notamment pour le compte du Ministère de la Culture. Cette dimension de son parcours éclaire un aspect essentiel de son travail : sa capacité à investir le cadre institutionnel sans renoncer à une exigence formelle et intellectuelle.
Chez lui, la commande n’annule pas l’auteur. Elle devient un espace de négociation, parfois de tension, mais aussi de production de sens. Cette posture témoigne d’une conception mature du documentaire comme acte culturel inscrit dans un tissu social et politique, et non comme un geste isolé ou purement personnel.
Une position entre Tunis et Paris
Le parcours de Mustapha Hasnaoui s’inscrit dans un entre-deux fécond, entre la Tunisie et la France. Cette position n’est ni celle de l’exil revendiqué, ni celle de l’ancrage exclusif. Elle lui permet de maintenir une distance critique vis-à-vis des deux espaces culturels, et d’échapper aux assignations identitaires.
La Tunisie n’est jamais chez lui un décor folklorique ou un objet de nostalgie. Elle est un espace de réflexion, traversé par des dynamiques historiques, sociales et culturelles complexes. La France, quant à elle, n’apparaît pas comme un centre dominant, mais comme un espace de dialogue, de diffusion et de reconnaissance critique.
Le documentaire comme acte culturel
Ce qui traverse l’ensemble de l’œuvre de Hasnaoui, c’est une conviction forte : le documentaire est un acte culturel. Il ne se réduit ni à l’illustration d’un propos, ni à la réponse à une commande médiatique. Il engage une responsabilité. Celle de ne pas simplifier le réel, de ne pas instrumentaliser les images, de ne pas confondre vitesse et pertinence.
À l’heure où le documentaire est de plus en plus soumis aux logiques de plateforme et de rendement, cette posture apparaît presque comme une résistance. Elle rappelle que le documentaire peut encore être un lieu de pensée, de doute et de complexité.
Une œuvre discrète, mais essentielle
Mustapha Hasnaoui n’est pas un cinéaste de la visibilité. Son travail s’inscrit dans une temporalité lente, parfois en retrait du bruit médiatique. Mais cette discrétion est précisément ce qui confère à son œuvre sa cohérence et sa profondeur. Elle agit sur la durée, dans les cercles culturels, universitaires et critiques qui reconnaissent la valeur du documentaire comme forme artistique.
Son parcours témoigne d’une fidélité rare à une certaine idée du cinéma du réel. Une idée où l’auteur prime sur le format, où la pensée prime sur l’effet, et où la culture prime sur l’audience.
À travers Mustapha Hasnaoui, c’est une conception exigeante du documentaire qui se dessine. Un documentaire comme écriture, comme regard, comme acte culturel. Entre Tunis et la France, entre création et institution, entre télévision et cinéma, son travail trace une voie singulière, discrète mais essentielle.
Dans un monde saturé d’images rapides et de récits simplifiés, son œuvre rappelle que filmer le réel demeure un geste grave, responsable, et profondément nécessaire.
Bureau de Paris – PO4OR