Myriam El Hajj :une écriture du réel à hauteur humaine
Ce qui frappe d’emblée dans le cinéma de Myriam El Hajj, ce n’est ni un thème récurrent ni une posture revendiquée, mais une manière précise d’habiter le temps. Le temps des relations, celui des attentes, des hésitations, des ajustements silencieux. Ses films ne s’ouvrent pas sur des constats, encore moins sur des diagnostics. Ils commencent là où les certitudes se fissurent : dans l’espace fragile où les individus tentent de maintenir un lien, une parole, une forme d’attachement, alors même que tout autour d’eux se défait.
Cette approche situe son travail à distance de toute tentation démonstrative. Le réel qu’elle filme n’est pas organisé pour être compris rapidement. Il est laissé dans son épaisseur, parfois inconfortable, souvent contradictoire. La caméra ne tranche pas. Elle accompagne.
Une cinéaste du cadre avant le commentaire
Le parcours de Myriam El Hajj s’est construit dans une attention rigoureuse portée aux outils du cinéma. Le cadre, le montage, la durée des plans y occupent une place centrale. Avant même de poser la question du sujet, son travail interroge les conditions de visibilité du réel. Comment filmer sans assigner ? Comment écouter sans orienter ? Comment faire émerger une vérité sans la surplomber par un discours explicatif ?
Cette exigence formelle se traduit par une grande sobriété de mise en scène. Les images ne cherchent jamais l’effet. Elles se déploient dans une économie de moyens assumée, où chaque plan semble pesé, ajusté à ce qu’il peut réellement contenir. Le cinéma devient alors un espace de confiance, où les personnes filmées ne sont ni réduites à des figures symboliques ni instrumentalisées au profit d’un récit préconçu.
L’intime comme lieu de lecture du politique
Avec Like Love Stories, Myriam El Hajj propose une lecture singulière du Liban contemporain. Le film ne se situe pas sur le terrain de l’analyse politique directe. Il s’en éloigne volontairement pour observer comment les crises successives du pays s’inscrivent dans les trajectoires affectives. Trois histoires, trois relations amoureuses, trois manières de composer avec l’incertitude.
L’amour, dans ce film, n’est jamais idéalisé. Il apparaît comme un espace de tension permanente, traversé par les peurs, les déséquilibres, les projections impossibles. Les corps hésitent, les paroles se cherchent, les engagements se fragilisent. À travers ces relations, c’est toute une génération qui se dessine, prise entre l’impossibilité de partir et la difficulté de rester.
Ce choix narratif est fondamental. Il permet de déplacer le regard, de sortir des cadres habituels de représentation du Liban. Le politique n’est pas montré comme un ensemble de décisions ou d’événements, mais comme une force diffuse qui façonne les affects, les désirs et les renoncements.
Une écriture documentaire de la retenue
Le cinéma de Myriam El Hajj repose sur une éthique de la retenue. Le montage refuse la suraccentuation. Les silences sont conservés. Les moments d’incertitude ne sont pas comblés. Cette manière de faire suppose une confiance rare dans l’intelligence du spectateur. Rien n’est surligné, rien n’est expliqué à l’avance.
Cette retenue crée une proximité particulière avec les personnages. Le spectateur n’est pas placé en position de jugement, mais d’observation partagée. Il est invité à composer lui-même le sens à partir des situations proposées. Ce dispositif confère à ses films une profondeur durable, loin des récits à effet immédiat.
Le Liban filmé comme espace vécu
Dans l’œuvre de Myriam El Hajj, le Liban n’est jamais réduit à une toile de fond. Les lieux, les intérieurs, les espaces de circulation participent pleinement à la narration. Ils ne sont pas décrits, ils sont éprouvés. La caméra enregistre les gestes ordinaires, les habitudes, les micro-tensions qui traversent le quotidien.
Cette approche spatiale permet de saisir le pays comme un ensemble de relations plutôt que comme une entité abstraite. Le politique y apparaît par ses effets indirects, par la manière dont il modifie les rythmes de vie, les projets, les liens affectifs. C’est un cinéma qui travaille par imprégnation plutôt que par affirmation.
Une voix lisible dans l’espace francophone
La présence régulière de Myriam El Hajj dans les médias francophones s’inscrit dans une reconnaissance progressive de son travail. Elle y intervient non comme porte-parole d’un pays ou d’une cause, mais comme cinéaste. Cette distinction est essentielle. Elle permet à son œuvre d’échapper aux lectures simplificatrices et de s’inscrire dans un dialogue artistique exigeant.
Son discours, à l’image de ses films, reste mesuré, précis, attentif aux nuances. Elle ne cherche pas à produire un récit globalisant sur le Liban, mais à partager une expérience située du réel. Cette posture contribue à la justesse de sa réception auprès d’un public qui accepte la complexité et le temps long.
Une œuvre en construction, une cohérence affirmée
Le cinéma de Myriam El Hajj ne repose pas sur une accumulation de projets, mais sur une continuité de regard. Film après film, se dessine une cohérence forte, fondée sur une même attention portée aux relations humaines et aux cadres invisibles qui les conditionnent. Cette fidélité à une méthode, à une éthique de travail, constitue sans doute l’un des traits les plus marquants de son parcours.
Son œuvre s’inscrit dans un temps long, celui de l’observation et de la maturation. Elle invite à une lecture patiente, attentive, loin de l’immédiateté médiatique. En cela, elle rappelle que le documentaire, lorsqu’il est pratiqué avec rigueur, peut devenir un outil précieux pour comprendre le monde sans le réduire.
Myriam El Hajj filme là où les certitudes vacillent. Elle ne propose ni solutions ni discours conclusifs. Son cinéma ouvre des espaces de réflexion, de doute, de reconnaissance mutuelle. Il donne à voir des existences traversées par l’histoire sans jamais les enfermer dans un récit préfabriqué. Cette position, à la fois exigeante et profondément humaine, inscrit son travail parmi les voix les plus justes du documentaire contemporain.
Rédaction – PO4OR | Portail de l’Orient