Nadine Naous, entre Beyrouth et Paris : une cinéaste du réel déplacé
Le cinéma de Nadine Naous ne se construit ni sur une identité revendiquée ni sur une posture militante affichée. Il avance autrement, par déplacements successifs, par glissements entre les formes, les lieux et les langues. Documentaire et fiction, Beyrouth et Paris, intime et politique ne s’y opposent jamais frontalement : ils coexistent, se contaminent, se répondent. C’est dans cet espace intermédiaire, instable mais fécond, que s’inscrit son œuvre.
Née à Beyrouth en 1974 d’une mère palestinienne et d’un père libanais, Nadine Naous ne transforme jamais cette donnée biographique en clé de lecture automatique. L’origine n’est pas un argument, encore moins un programme. Elle est une matière parmi d’autres, travaillée, déplacée, parfois contredite par les formes choisies. Ce refus de l’assignation est sans doute l’un des traits les plus constants de son parcours.
Des arts visuels au cinéma : une écriture du montage
Avant le cinéma narratif, Nadine Naous explore les arts visuels. Installations mêlant films Super 8, vidéo, photographie et dispositifs sonores constituent son premier terrain d’expérimentation. Cette formation hybride marque durablement son rapport à l’image. Chez elle, le cinéma n’est jamais réduit à un simple récit linéaire : il est montage, stratification, agencement de matières hétérogènes.
Ce rapport plastique à l’image explique la précision de ses films, leur économie de moyens, mais aussi leur liberté formelle. Chaque projet semble répondre à une nécessité spécifique : trouver la forme juste pour un sujet donné, sans chercher à reproduire une signature visible.
Chacun sa Palestine : entrer dans le politique par le personnel
En 2006, Nadine Naous réalise son premier documentaire, Chacun sa Palestine, diffusé sur Arte et largement remarqué dans les festivals internationaux. Le film aborde la question palestinienne sans emphase ni discours surplombant. Il ne cherche pas à expliquer une situation géopolitique complexe, mais à montrer comment celle-ci se décline dans les récits individuels, les mémoires fragmentées, les perceptions intimes.
Ce choix est décisif. Plutôt que d’opposer témoignage et analyse, le film fait apparaître le politique comme une expérience vécue, multiple, parfois contradictoire. Cette approche, à la fois rigoureuse et sensible, inscrit d’emblée Nadine Naous dans une tradition documentaire proche du cinéma d’auteur français, où la subjectivité assumée devient un outil de compréhension du réel.
Fiction et documentaire : une frontière volontairement poreuse
Avec Clichés (2009), son premier court-métrage de fiction coproduit par Arte, Nadine Naous ne rompt pas avec le documentaire : elle le déplace. La fiction devient un espace d’observation du réel, un moyen de révéler des mécanismes sociaux et symboliques qui échappent parfois au cinéma direct.
Cette porosité entre les formes traverse l’ensemble de son travail. Elle ne hiérarchise pas documentaire et fiction, mais les pense comme deux régimes complémentaires. L’un permet la confrontation immédiate avec le réel, l’autre autorise la distanciation, l’ironie, le décalage. Cette liberté formelle la place dans un espace transnational, très proche des pratiques contemporaines du cinéma français indépendant.
Home Sweet Home : l’intime comme espace politique
En 2014, Home Sweet Home marque une étape importante. Film profondément personnel, il interroge la notion de foyer, d’appartenance et de déplacement. Sans jamais verser dans l’autobiographie explicite, Nadine Naous y explore ce que signifie habiter un lieu, y rester ou le quitter, y projeter une mémoire.
Le film reçoit notamment l’Étoile de la SCAM, reconnaissance significative dans le paysage audiovisuel français. Cette distinction souligne la singularité de son regard : une capacité à articuler l’intime et le collectif sans les confondre, à politiser le quotidien sans jamais le réduire à un slogan.
La France comme espace de travail, pas comme décor
La relation de Nadine Naous à la France ne se limite ni à la production ni à la diffusion de ses films. Elle travaille entre Beyrouth et Paris, collabore à des projets de longs métrages comme scénariste, consultante, traductrice ou comédienne. Cette inscription multiple témoigne d’un ancrage professionnel réel dans le paysage cinématographique français.
Son court-métrage Au kiosque, Citoyens ! en est un exemple révélateur. En s’intéressant aux élections présidentielles françaises à travers un dispositif mêlant cinéma direct et fiction, elle adopte un regard à la fois impliqué et décalé. La France n’y est pas observée de l’extérieur, mais interrogée de l’intérieur, avec une ironie discrète et une attention aux gestes ordinaires.
Une œuvre en mouvement
Aujourd’hui, Nadine Naous développe un nouveau documentaire à Bethléem et prépare son premier long-métrage de fiction, Femme sauvage. Ces projets confirment une trajectoire cohérente, fondée sur le déplacement constant des points de vue et des formes. Aucun film ne clôt une question ; chacun ouvre un nouveau champ d’exploration.
Ce qui frappe dans son parcours, c’est la constance d’une méthode plutôt que la répétition de thèmes. Observer sans enfermer, raconter sans simplifier, politiser sans déclarer : telle pourrait être la ligne invisible qui traverse son œuvre.
Nadine Naous appartient à cette génération de cinéastes pour qui le cinéma n’est pas un territoire fixe, mais un espace de circulation. Entre Beyrouth et Paris, entre documentaire et fiction, elle construit une œuvre discrète mais profondément ancrée dans le réel. Une œuvre qui refuse les assignations identitaires et les effets de manche, pour privilégier une écriture précise, attentive, résolument contemporaine.
Dans un paysage saturé de discours, son cinéma propose autre chose : un regard. Et c’est peut-être là, aujourd’hui, sa force la plus durable.
Rédaction : PO4OR