Nisrine Erradi:L’interprétation comme espace intérieur

Nisrine Erradi:L’interprétation comme espace intérieur
Nisrine Erradi une actrice à la présence retenue et à la justesse intérieure.

Nisrine Erradi n’est pas de ces actrices qui imposent leur présence par la frontalité ou l’excès. Son jeu se situe ailleurs, dans une zone de retenue où l’émotion n’est jamais livrée brute, mais contenue, travaillée, intériorisée. Elle appartient à une génération d’interprètes pour lesquelles le corps n’est pas un outil de performance, mais un lieu de passage.

Formée au théâtre, Erradi a développé très tôt une relation attentive au texte et au silence. Cette double compétence dire et se taire structure l’ensemble de son travail à l’écran. Lorsqu’elle apparaît dans Adam, film présenté à Cannes, elle s’inscrit dans un dispositif exigeant, fondé sur la précision et l’écoute. Le jeu requis n’y tolère ni effet ni facilité. Tout repose sur la justesse des attitudes, sur la capacité à habiter un cadre sans le saturer.

Ce rôle marque un tournant dans son parcours. Non parce qu’il la révèle médiatiquement, mais parce qu’il affirme une méthode. Erradi y démontre une aptitude rare à s’effacer sans disparaître, à exister sans s’imposer. Le spectateur n’est jamais guidé émotionnellement ; il observe, il interprète, il projette. Cette qualité de présence, discrète mais persistante, devient l’une de ses signatures.

Avec Everybody Loves Touda, l’actrice élargit son registre sans renoncer à cette retenue fondamentale. Le personnage qu’elle incarne évolue dans un contexte social plus exposé, traversé par des aspirations artistiques et des contraintes matérielles fortes. Là encore, Erradi évite toute dramatisation excessive. Elle ne transforme pas la trajectoire du personnage en manifeste. Elle en restitue les contradictions, les élans, les reculs, avec une sobriété constante.

Ce choix n’est pas anodin. Il témoigne d’une conception exigeante du métier d’actrice : jouer ne consiste pas à démontrer une émotion, mais à créer les conditions de sa perception. Erradi travaille dans l’écart, dans le non-dit, dans ce que le cadre laisse deviner plutôt que montrer. Cette approche la distingue nettement dans le paysage cinématographique marocain et au-delà.

Son parcours, encore en construction, se caractérise par une cohérence rare. Les projets auxquels elle participe s’inscrivent dans un cinéma de regard plutôt que de discours. Elle ne cherche pas la multiplication des rôles, mais leur densité. Cette stratégie, patiente et réfléchie, laisse entrevoir une inscription durable dans le temps, loin des trajectoires éphémères.

Nisrine Erradi incarne ainsi une figure contemporaine de l’actrice : non pas une présence spectaculaire, mais une force intérieure. Une interprète pour qui le jeu est avant tout un travail d’écoute ,de soi, des autres, et du film lui-même. Dans un contexte où l’exposition tend souvent à primer sur la profondeur, cette position constitue en soi un geste artistique.

Rédaction : Bureau de Paris

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