Quand la francophonie s’invente à Bagdad Langue, culture et transmission au cœur d’un espace en recomposition

Quand la francophonie s’invente à Bagdad Langue, culture et transmission au cœur d’un espace en recomposition
Façade de l’Institut français de Bagdad, espace de transmission linguistique et culturelle au cœur de la capitale irakienne.

À Bagdad, la présence culturelle étrangère ne peut être réduite à une simple logique institutionnelle. Elle s’inscrit dans un espace chargé d’histoire, de ruptures et de reconstructions successives, où toute initiative culturelle devient, de facto, un acte de médiation. C’est dans ce contexte que l’Institut français de Bagdad poursuit son action, non comme une vitrine, mais comme un lieu de circulation, d’apprentissage et de dialogue.

Loin des capitales francophones traditionnelles, la francophonie à Bagdad se déploie dans un rapport au réel singulier. Elle n’est ni héritage colonial direct, ni prolongement naturel d’une histoire linguistique partagée. Elle relève plutôt d’un choix contemporain, porté par une génération d’étudiants, d’artistes et de chercheurs irakiens désireux d’ouvrir leurs horizons intellectuels et culturels au-delà des cadres dominants.

Apprendre le français à Bagdad : un acte de projection

L’enseignement du français constitue l’un des piliers de l’action de l’Institut. Mais ici, apprendre une langue étrangère ne relève pas uniquement d’une compétence académique. Pour de nombreux étudiants, il s’agit d’un geste de projection : vers d’autres univers culturels, d’autres traditions intellectuelles, d’autres formes de pensée critique.

Le français apparaît comme une langue d’accès — à la philosophie, aux sciences humaines, aux arts — mais aussi comme une langue de respiration, distincte des clivages idéologiques et des héritages conflictuels. Dans les salles de cours, la langue devient un espace neutre, propice à la réflexion et à l’échange, où l’apprentissage linguistique s’accompagne d’une ouverture au débat et à la pluralité des points de vue.

Un espace culturel plutôt qu’une vitrine

Au-delà de l’enseignement, l’Institut développe une programmation artistique et culturelle qui évite l’écueil de l’événementiel spectaculaire. Projections, rencontres littéraires, débats, ateliers et expositions sont pensés comme des espaces de rencontre, non comme des opérations de visibilité.

Cette approche privilégie la durée à l’impact immédiat. Elle permet à des publics variés — étudiants, enseignants, artistes, curieux — de se réapproprier les lieux, d’y construire une relation continue avec la culture française et francophone, mais aussi d’y inscrire leurs propres récits. La culture circule alors dans les deux sens : elle n’est pas importée, elle est discutée, traduite, parfois contestée.

La culture comme diplomatie discrète

Dans une ville marquée par des décennies de conflits, la culture joue un rôle spécifique. Elle ne prétend pas réparer, ni expliquer, mais offrir un cadre où la parole peut se déployer autrement. L’action de l’Institut s’inscrit dans cette logique de diplomatie culturelle discrète, qui privilégie la constance au symbole, et la relation humaine à l’affichage politique.

Ici, la francophonie n’est pas une affirmation de puissance. Elle se manifeste comme une proposition : celle d’un dialogue possible, d’une transmission sans domination, d’un échange fondé sur la curiosité et le respect mutuel. Cette posture explique en grande partie l’intérêt que suscitent les activités de l’Institut auprès d’un public jeune, attentif aux formes de coopération culturelle qui ne reproduisent pas les hiérarchies anciennes.

Une génération irakienne face au monde

L’un des enjeux majeurs de cette présence culturelle réside dans sa capacité à accompagner une génération irakienne en quête de repères internationaux. Étudier le français, participer à des ateliers artistiques, assister à des débats intellectuels, ce n’est pas fuir Bagdad. C’est, au contraire, inscrire la ville dans un réseau de circulations culturelles globales, où elle cesse d’être perçue uniquement à travers le prisme du conflit.

Dans ce cadre, la langue française devient un outil parmi d’autres pour penser le monde, interroger l’histoire, et envisager des formes nouvelles de création et de réflexion.

Bagdad dans la cartographie contemporaine de la francophonie

L’existence et la vitalité de l’Institut français à Bagdad rappellent que la francophonie ne se limite ni à un espace géographique figé ni à une communauté linguistique homogène. Elle se redessine en permanence, au gré des contextes, des usages et des désirs.

À Bagdad, elle prend la forme d’un laboratoire discret, où langue, culture et transmission s’articulent dans un environnement post-conflit, sans emphase ni illusion. Une francophonie de terrain, attentive aux réalités locales, et consciente que la culture, pour être pertinente, doit d’abord écouter.

Salam Ghanem, Bagdad

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