Randa Chahal Sabbagh, ou le cinéma comme acte de responsabilité
Randa Chahal Sabbagh est née le 11 décembre 1953 à Tripoli, au nord du Liban. Très tôt attirée par le cinéma, elle développe dès son enfance un intérêt marqué pour l’image et le récit filmique. En 1973, elle s’installe à Paris afin de poursuivre des études de réalisation à la Sorbonne, puis à l’Institut Louis-Lumière, où elle s’oriente vers le cinéma documentaire.
Au cours de cette période, elle réalise plusieurs films documentaires, parmi lesquels Pas à pas, consacré à la guerre et aux interventions extérieures au Liban. Elle signe également des œuvres destinées à la télévision, dont certaines sont diffusées sur la chaîne culturelle ARTE, affirmant progressivement une écriture sobre, engagée et rigoureuse.
L’un de ses films documentaires majeurs, Nos guerres irréfléchies, marque une étape décisive dans son parcours. À travers le prisme de sa propre famille, Randa Chahal y aborde la guerre civile libanaise dans un dispositif inédit, mêlant l’intime et le politique. Le film reçoit en 1995 le Prix du film documentaire à Paris, puis une distinction de l’Institut du monde arabe l’année suivante, consacrant son importance dans le paysage du cinéma documentaire.
Parallèlement, elle réalise plusieurs documentaires marquants, notamment un film consacré au chanteur engagé Cheikh Imam en 1984, puis un portrait de Souha Bechara après sa libération de la prison de Khiam en 2000. Elle explore également d’autres formes audiovisuelles, réalisant un vidéoclip pour la chanteuse Latifa Arfaoui, Ma‘loumât mich akîda, sur des paroles et une musique de Ziad Rahbani, avec lequel elle collabore aussi pour la musique originale de son film Le Cerf-volant.
Dans le cinéma de fiction, Randa Chahal signe plusieurs longs métrages qui s’inscrivent dans une démarche critique et politique affirmée. Les Écrans de sable (1991) ouvre cette période, suivie de Les Infidèles, tourné au Caire, qui traite de la radicalisation religieuse et de la présence étrangère dans la capitale égyptienne. En 1999, Civilisées est présenté dans plusieurs festivals internationaux et récompensé à deux reprises. Le film fait toutefois l’objet d’une censure sévère au Liban, où quarante-cinq minutes sont supprimées. La réalisatrice affirmera que cette décision tient moins à des considérations morales qu’au fait que le film met en cause la responsabilité collective des Libanais dans la guerre civile.
En 2003, elle réalise Le Cerf-volant, produit par le producteur français Humbert Balsan. Le film se déroule dans un village druze divisé entre le Liban, la Syrie et une zone occupée par Israël. À travers une narration épurée, il interroge les frontières, l’attente et l’enfance dans un espace fragmenté. Présenté à la Mostra de Venice Film Festival, le film reçoit le Lion d’argent. À cette occasion, une cérémonie est organisée à Beyrouth en son honneur, au cours de laquelle elle est décorée de l’Ordre du Cèdre, au rang de chevalier, en reconnaissance de l’ensemble de son œuvre.
Randa Chahal vivait à Paris depuis près de vingt-cinq ans lorsqu’elle s’éteint le 25 août 2008, à l’âge de cinquante-cinq ans, après une longue maladie. Elle est inhumée dans sa ville natale de Tripoli. Son dernier projet, une comédie musicale intitulée Too Bad for Them, restera inachevé.
Son œuvre demeure aujourd’hui une référence essentielle du cinéma arabe contemporain. Par son exigence formelle et son engagement intellectuel, Randa Chahal a laissé une filmographie qui continue de questionner la guerre, la mémoire, la responsabilité et les fractures du monde arabe, confirmant la place singulière qu’elle occupe dans l’histoire du cinéma.
Bureau de Paris – PO4OR.