Robert Solé, ou l’Égypte comme mémoire intérieure

Robert Solé, ou l’Égypte comme mémoire intérieure
Robert Solé, écrivain et journaliste franco-égyptien, dont l’œuvre explore avec finesse la mémoire, l’histoire et les métamorphoses de l’Égypte à travers la langue française.

Il est des écrivains pour lesquels l’exil ne se résume ni à une rupture ni à un simple déplacement géographique, mais devient une matière narrative, une mémoire active qui irrigue l’ensemble de l’œuvre. Robert Solé appartient à cette catégorie rare. Journaliste et romancier français, né au Caire en 1946, il a fait de l’Égypte non pas un décor nostalgique, mais un territoire intime, constamment réinterrogé, relu, réécrit à travers le prisme de la distance, du temps et de la langue.

Arrivé en France à l’âge de dix-huit ans, Solé s’est construit dans l’espace intellectuel français sans jamais rompre le fil invisible qui le liait à la terre de son enfance. Cette tension féconde entre appartenance et éloignement constitue l’axe central de son parcours, tant journalistique que littéraire.

Une formation entre deux mondes

Issu d’une famille chrétienne levantine — ces « Chawam » installés en Égypte depuis plusieurs générations — Robert Solé grandit dans un environnement profondément pluriel, où les langues, les cultures et les références se superposent naturellement. Il est formé au Lycée français du Caire, puis chez les Jésuites, institutions qui façonnent durablement son rapport à la langue française, qu’il considérera toujours comme sa langue première d’écriture.

À dix-sept ans, il quitte l’Égypte pour poursuivre ses études en France. Il intègre l’École supérieure de journalisme, choix fondateur qui le place très tôt au cœur des mécanismes de l’information, de l’analyse et du regard critique sur le monde contemporain.

Le Monde : rigueur, distance et éthique

En 1969, Robert Solé rejoint le quotidien Le Monde, institution centrale de la presse française. Il y fera l’essentiel de sa carrière, occupant des fonctions de rédacteur, puis de correspondant à l’étranger, notamment à Rome et Washington. Cette expérience internationale affine son regard, l’éloigne des récits simplistes et renforce son exigence de précision.

Il exercera également la fonction d’ombudsman du journal — médiateur entre la rédaction et les lecteurs — rôle discret mais crucial, qui témoigne de la confiance placée en son intégrité intellectuelle et en son sens aigu de la déontologie journalistique.

Le retour du regard vers l’Égypte

Pendant longtemps, l’Égypte demeure pour Solé un pays intérieur, nourri de souvenirs et d’images d’enfance. Le véritable basculement survient en 1984, lorsqu’il retourne au Caire à l’occasion de l’inauguration de l’hôpital d’Aïn Shams, projet franco-égyptien. Ce séjour agit comme un révélateur. L’Égypte qu’il retrouve n’est plus celle qu’il a quittée.

S’ensuit un voyage à travers le pays avec l’UNICEF. Solé découvre une société profondément transformée, traversée par des mutations sociales, culturelles et politiques majeures. De cette confrontation entre mémoire et réalité naît une nouvelle phase de son œuvre, où l’écriture devient outil de compréhension, plutôt que refuge nostalgique.

Le romancier de la mémoire égyptienne

Le grand public découvre Robert Solé romancier avec Le Tarbouche, œuvre emblématique qui lui vaut le Prix Méditerranée en 1992. À travers ce roman, Solé restitue l’Égypte cosmopolite du XXᵉ siècle, celle des communautés entremêlées, des identités poreuses, aujourd’hui largement disparue. Le tarbouche y devient symbole : non pas folklore, mais marqueur d’un monde composite et fragile.

Cette exploration se poursuit dans Une soirée au Caire, La Mamelouke, Hôtel Mahrajane ou encore Fous d’Égypte. À chaque fois, Solé refuse l’exotisme facile. Il observe, décrit, analyse. L’Égypte n’est jamais idéalisée : elle est contradictoire, vibrante, parfois brutale, toujours complexe.

Historien du sensible

Parallèlement à la fiction, Robert Solé développe une œuvre d’essayiste et d’historien. Dans Dictionnaire amoureux de l’Égypte, Égypte, passion française ou L’Égypte d’hier en couleurs, il rassemble souvenirs personnels, références historiques et regards contemporains. Ces ouvrages tiennent autant du récit intime que de l’enquête culturelle.

Bien qu’arabophone, Solé choisit d’écrire exclusivement en français, langue de pensée et de structuration intellectuelle. Ses livres sont néanmoins traduits dans de nombreuses langues, dont l’arabe, preuve de leur résonance transnationale.

Une position singulière

Robert Solé occupe une place particulière dans le paysage culturel français. Il n’est ni un écrivain de l’exil revendicatif, ni un nostalgique figé dans le passé. Il est un passeur, attentif aux nuances, conscient des fractures, mais résolument hostile aux simplifications identitaires.

Son écriture se caractérise par une sobriété élégante, une clarté presque journalistique, mise au service d’une réflexion profonde sur l’histoire, la mémoire et l’appartenance. Chez Solé, la littérature n’est jamais démonstrative ; elle éclaire sans asséner, suggère sans enfermer.

Une œuvre de fidélité

À travers ses romans, ses essais et son parcours journalistique, Robert Solé a construit une œuvre de fidélité — fidélité à l’Égypte, à la langue française, à une certaine idée de la rigueur intellectuelle. Il rappelle que l’identité n’est ni une frontière ni une revendication, mais un champ de tensions fertiles, où l’écriture peut devenir un lieu de réconciliation.

Bureau de Paris – PO4OR

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