Salim Kechiouche,la trajectoire d’un acteur du temps long
Chez Salim Kechiouche, la carrière ne se lit pas comme une succession de rôles, mais comme une continuité patiemment construite. Acteur, réalisateur et scénariste, il appartient à cette génération d’interprètes français dont la légitimité s’est forgée loin des effets de mode, par le travail, la durée et une fidélité constante à des écritures exigeantes. Sa présence à l’écran, reconnaissable sans être appuyée, s’impose par la justesse plutôt que par l’emphase.
Né dans le 3e arrondissement de Lyon de parents algériens, il grandit à Vaulx-en-Velin, dans un environnement où la périphérie n’est pas un décor mais une expérience structurante. Très tôt, le cinéma croise sa route. En 1995, alors qu’il n’a que quinze ans, il est repéré par Gaël Morel qui lui confie un rôle dans À toute vitesse. Cette rencontre fondatrice marque le début d’une collaboration durable : Kechiouche tournera par la suite dans la majorité des films du réalisateur, construisant avec lui une relation de confiance rare entre acteur et cinéaste.
À la fin des années 1990, il apparaît déjà dans des œuvres qui comptent. En 1998, François Ozon lui confie un rôle dans Les Amants criminels. À ce stade, le cinéma reste encore pour lui un jeu, une expérience instinctive. Mais ces premiers tournages éveillent une vocation durable. Il décide alors d’ancrer son désir dans une formation solide et intègre l’école de théâtre La Scène sur Saône, qu’il termine en 2002. Ce passage par le théâtre affine son rapport au texte, au corps et au silence, éléments qui deviendront centraux dans son jeu.
Parallèlement à son parcours artistique, Salim Kechiouche développe une autre discipline : la boxe. Amateur puis compétiteur confirmé, il devient champion de France de kick-boxing en 1998, puis champion de muay-thaï en 2002. Cette pratique marque profondément son rapport au corps et nourrit certains de ses personnages à l’écran, où la physicalité n’est jamais décorative mais pleinement intégrée à la dramaturgie.
Au cinéma, sa filmographie dessine un itinéraire cohérent au sein du cinéma d’auteur français et international. De Le Fil de Mehdi Ben Attia à Ce que le jour doit à la nuit d’Alexandre Arcady, de Paris à tout prix à La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, il compose des personnages souvent traversés par des tensions intérieures, des identités mouvantes, des conflits silencieux. Sa collaboration avec Kechiche dans Mektoub, My Love (canto uno, intermezzo puis canto due) installe durablement son image d’acteur capable d’occuper le temps long du récit, sans jamais chercher à capter l’attention par l’excès.
La télévision élargit encore son champ d’expression. On le retrouve dans des séries marquantes telles que Fortunes, Engrenages, Lupin, Braqueurs ou plus récemment Ourika, où il confirme sa capacité à s’inscrire dans des formats sériels exigeants sans perdre la densité de son jeu. À chaque apparition, il privilégie la précision : un regard, une retenue, une posture qui suffisent à installer un personnage.
Le théâtre demeure pourtant un socle essentiel de son parcours. Des textes contemporains aux écritures plus politiques, des scènes parisiennes aux tournées nationales, Kechiouche s’y confronte à des rôles qui exigent engagement et endurance. Le plateau devient un espace de risque, de présence réelle, où le comédien affine une intelligence collective du jeu.
Installé à Paris, Salim Kechiouche poursuit aujourd’hui une trajectoire singulière, alternant cinéma, télévision et théâtre, tout en développant ses propres projets de réalisation. Dans un paysage audiovisuel souvent dominé par l’urgence et la visibilité immédiate, il incarne une autre temporalité : celle d’un acteur qui construit, qui attend, qui choisit. Une présence discrète mais essentielle, fidèle à une certaine idée du cinéma et du jeu d’acteur, où la justesse prime toujours sur l’éclat.
Rédaction : Bureau de Paris