Paris, capitale inattendue du livre arabe : immersion au cœur de ses librairies vivantes

Paris, capitale inattendue du livre arabe : immersion au cœur de ses librairies vivantes

Dans le paysage culturel parisien, entre les grandes enseignes littéraires, les librairies indépendantes et les maisons d’édition historiques, un réseau discret mais essentiel continue de tisser des liens entre la France et le monde arabe : les librairies arabes de Paris. Plus que de simples lieux de vente, ce sont des espaces de mémoire, de transmission et d’hospitalité intellectuelle, où livres, langues et identités circulent librement, rappelant qu’un pont culturel ne se décrète pas — il se construit page après page.

Les premières librairies arabes ont vu le jour à Paris dans les années 1970, alors que la capitale française accueillait étudiants, chercheurs, exilés politiques et artistes venus du Machrek et du Maghreb. Elles étaient alors des refuges intellectuels où l’on trouvait les nouveautés de Beyrouth, les essais du Caire, les romans de Damas, la poésie de Bagdad ou encore les éditions francophones de Casablanca.

Aujourd’hui, malgré la montée des plateformes numériques, elles demeurent des lieux vivants, fréquentés par des lecteurs arabophones comme par un public français curieux du monde arabe contemporain. Ce qui distingue ces librairies, c’est leur double vocation : commerciale certes, mais aussi culturelle, sociale et symbolique.

Elles accueillent lectures publiques, soirées de poésie, signatures littéraires, rencontres avec des auteurs, ateliers d’apprentissage de l’arabe ou encore débats culturels. Dans un Paris en perpétuelle mutation, elles jouent le rôle d’un ancrage identitaire où cohabitent langues, générations et sensibilités multiples.

Paris abrite aujourd’hui plusieurs librairies arabes aux identités éditoriales distinctes. Certaines privilégient la pensée islamique moderne, d’autres la littérature maghrébine francophone, d’autres encore les nouveautés romanesques venues du Golfe ou du Levant. Cette diversité fait de la capitale française l’un des plus importants carrefours du livre arabe en Europe, parfois même en concurrence avec Londres ou Berlin.

Ces librairies attirent un public varié : étudiants de l’INALCO ou de la Sorbonne, chercheurs français, familles souhaitant transmettre l’arabe à leurs enfants, lecteurs issus de la diaspora, amateurs de poésie ou simples curieux désireux de comprendre davantage les cultures arabes.

Pour beaucoup d’exilés, migrants ou voyageurs, elles deviennent un prolongement du foyer, un espace où la langue et la mémoire trouvent refuge. Malgré leur importance symbolique, ces librairies affrontent des défis : hausse des loyers, concurrence du numérique, difficultés d’importation depuis certains pays, ou encore crises politiques influençant l’édition arabe.

Leur survie est un acte de résistance culturelle. Chaque livre posé sur une étagère, chaque rencontre organisée, chaque lecteur accueilli constitue un geste de transmission et de persévérance.

Elles s’inscrivent également dans la dynamique vibrante des grandes foires du livre arabe qui, chaque année, animent Le Caire, Riyad, Sharjah, Beyrouth et d’autres capitales. Ces salons réunissent éditeurs, auteurs et lecteurs, favorisant le renouveau littéraire et la circulation des idées. Les librairies parisiennes importent rapidement les nouveautés issues de ces événements, permettant ainsi au public français d’accéder presque en temps réel à la vitalité éditoriale du monde arabe.

Paradoxalement, alors que certaines régions arabes rencontrent des difficultés pour diffuser la production culturelle, Paris devient un espace où le livre arabe respire plus librement. La tradition intellectuelle française, la curiosité des lecteurs et la liberté éditoriale font de la capitale un espace fertile pour l’écriture et la lecture arabes.

Ces librairies jouent enfin un rôle de médiation entre l’Orient et la France. Elles contribuent à déconstruire les stéréotypes, à présenter la littérature contemporaine, à expliquer les mutations sociales et politiques, et à valoriser la richesse culturelle arabe. Elles participent, discrètement mais efficacement, à la diplomatie culturelle.

Au moment où les identités se croisent, se transforment et dialoguent, les librairies arabes de Paris demeurent des phares nécessaires. Ce sont des lieux où la langue arabe respire, où les héritages survivent, et où s’écrit — chaque jour — une nouvelle page du dialogue franco-oriental.


Ali Al-Hussien — PO4OR, Portail de l’Orient
Paris

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