Vincent Abadi Hafez, écrire l’espace
Il ne s’agit pas, chez Vincent Abadi Hafez, de prolonger une tradition ni d’en commenter les formes. Son travail ne relève ni de la filiation ni de la citation. Il procède d’un geste plus radical : considérer l’écriture comme une matière plastique autonome, susceptible d’organiser l’espace, de structurer le regard et de produire une expérience visuelle indépendante de toute lecture. Ce déplacement, discret mais décisif, inscrit son œuvre dans le champ de l’art contemporain plutôt que dans celui de la transmission.
Vincent Abadi Hafez développe depuis plusieurs années une pratique qui se situe à l’intersection de la peinture murale, de l’installation et de l’architecture. Ses œuvres ne s’appréhendent pas comme des surfaces décorées, mais comme des constructions. Le mur n’est jamais un simple support ; il devient un volume implicite, un champ de forces au sein duquel la lettre agit comme élément structurel.
De la lettre à la forme
Ce qui frappe d’emblée dans le travail de Vincent Abadi Hafez, c’est la mise à distance volontaire du lisible. La lettre n’est pas convoquée pour ce qu’elle signifie, mais pour ce qu’elle permet formellement : rythme, tension, répétition, variation. Le regard n’est pas invité à déchiffrer, mais à circuler. L’écriture cesse d’être un langage pour devenir un système.
Cette approche suppose une maîtrise rigoureuse de la forme. Les compositions de Hafez s’organisent souvent selon des structures circulaires, radiales ou concentriques. Rien n’y est laissé au hasard. Chaque élément répond à un autre, chaque tracé participe d’un équilibre global. La lettre est fragmentée, étirée, retournée, parfois presque méconnaissable, mais jamais arbitraire. Elle obéit à une logique interne, proche de celle de l’architecture ou de la composition musicale.
L’espace comme enjeu central
Le travail de Vincent Abadi Hafez prend toute sa mesure lorsqu’il est inscrit dans des espaces institutionnels ou muséaux. Les œuvres murales qu’il réalise ne cherchent pas à s’imposer au lieu, mais à dialoguer avec lui. Elles en épousent les proportions, en révèlent les tensions, parfois même en corrigent la perception. Le spectateur n’est pas face à une image ; il est inclus dans un dispositif.
Cette relation au lieu distingue nettement son travail de nombreuses pratiques contemporaines de la peinture murale. Chez Hafez, le mur n’est jamais neutralisé. Il est pris en compte dans son épaisseur symbolique et physique. La fresque n’est pas un ajout, mais une transformation. Elle modifie la manière dont l’espace est traversé, regardé, habité.
Une abstraction construite
Il serait réducteur de qualifier le travail de Vincent Abadi Hafez d’ornemental. Si ses œuvres séduisent par leur précision et leur densité visuelle, elles reposent avant tout sur une pensée abstraite. L’abstraction ici ne consiste pas à effacer toute référence, mais à déplacer le centre de gravité de l’œuvre. Ce qui importe n’est pas ce qui est représenté, mais la manière dont les formes interagissent.
Cette abstraction est construite, presque méthodique. Les compositions ne relèvent ni de l’improvisation ni de l’expression spontanée. Elles témoignent d’un long travail préparatoire, d’une réflexion sur les proportions, les rythmes, les tensions internes. La peinture devient un acte de mise en ordre, une façon d’organiser le chaos potentiel de la forme.
Une œuvre sans discours surplombant
L’un des aspects les plus remarquables du travail de Vincent Abadi Hafez réside dans son refus du commentaire excessif. L’œuvre ne s’accompagne pas d’un discours explicatif cherchant à en orienter la lecture. Elle ne revendique ni programme ni manifeste. Cette retenue n’est pas un manque, mais un choix. Elle laisse à l’œuvre la responsabilité de produire son propre sens.
Ce positionnement confère à son travail une grande lisibilité internationale. Débarrassées de tout cadre interprétatif imposé, les œuvres peuvent être appréhendées par des publics aux références diverses. Elles ne requièrent pas de connaissance préalable, seulement une disponibilité du regard. Cette ouverture contribue à leur intégration naturelle dans des contextes institutionnels variés.
Entre peinture et architecture
Le travail de Hafez entretient un rapport étroit avec l’architecture, non pas au sens décoratif, mais structurel. Les lignes qu’il trace semblent prolonger celles du bâtiment, en révéler les axes invisibles. La peinture agit comme une seconde peau, parfois comme une ossature. Elle redéfinit les limites, suggère des volumes, crée des circulations visuelles.
Cette dimension architecturale explique la puissance de ses œuvres in situ. Elles ne se contentent pas d’occuper un espace ; elles le reconfigurent. Le regard du spectateur est guidé, parfois contraint, souvent ralenti. L’expérience devient corporelle autant que visuelle. On ne regarde pas seulement l’œuvre ; on la traverse mentalement.
Une inscription dans le temps long
À rebours des logiques de visibilité immédiate, le travail de Vincent Abadi Hafez s’inscrit dans une temporalité longue. Ses œuvres ne cherchent pas l’effet rapide ni l’impact spectaculaire. Elles demandent du temps. Le regard doit s’y attarder, accepter de se perdre dans les détails, de revenir sur ses pas. Cette exigence confère à son travail une densité particulière, peu sensible à l’usure.
Cette inscription dans la durée explique aussi la cohérence de son parcours. Chaque projet semble prolonger le précédent, non par répétition, mais par approfondissement. Les variations sont subtiles, les déplacements progressifs. L’œuvre se construit par accumulation, par strates successives, plutôt que par ruptures visibles.
Une position singulière dans l’art contemporain
Vincent Abadi Hafez occupe aujourd’hui une place singulière dans le paysage artistique contemporain. Son travail échappe aux catégories faciles. Il ne relève ni strictement de la peinture, ni de l’installation, ni de l’art graphique. Il circule entre ces domaines sans s’y dissoudre. Cette position intermédiaire constitue l’une de ses forces. Elle lui permet de dialoguer avec des champs multiples tout en conservant une identité formelle claire.
Son intégration dans des institutions culturelles majeures témoigne de la reconnaissance de cette singularité. Non comme une curiosité, mais comme une proposition artistique pleinement aboutie. Une œuvre capable de dialoguer avec l’architecture, le design, l’art contemporain, sans se réduire à une seule lecture.
Le travail de Vincent Abadi Hafez ne se laisse pas appréhender dans l’urgence. Il requiert une attention soutenue, une disponibilité du regard, une acceptation du silence. Loin de toute narration explicite, il propose une expérience construite, rigoureuse, où la forme devient langage et l’espace, matière première.
Écrire l’espace plutôt que le décorer, organiser la lettre plutôt que la faire lire : c’est dans ce déplacement précis que réside la force de son œuvre. Une œuvre qui ne cherche pas à convaincre, mais à tenir. À s’inscrire durablement dans les lieux et dans les mémoires, par la seule puissance de sa construction formelle.
Rédaction : Bureau de Paris