Yousry Nasrallah et la France Une relation de cinéma, de regard et de liberté
La relation entre Yousry Nasrallah et la France ne relève ni du hasard ni de la simple circulation internationale des films. Elle s’inscrit dans une histoire plus profonde, faite de convergences esthétiques, de nécessités politiques et d’un dialogue durable entre un cinéaste égyptien majeur et un espace culturel qui a su reconnaître, accompagner et interroger son œuvre. Il ne s’agit pas d’une relation d’exil, encore moins d’une assimilation, mais d’un compagnonnage intellectuel et artistique fondé sur une conception exigeante du cinéma comme langage critique.
La France comme espace de réception
Dès ses premiers films, le cinéma de Yousry Nasrallah trouve en France un terrain d’écoute attentif. Là où certaines de ses œuvres suscitent incompréhensions ou résistances dans leur contexte d’origine, elles sont en France analysées, contextualisées et défendues comme relevant pleinement de la « cinéma d’auteur ». Cette réception n’est pas folklorisante. Elle ne réduit pas son travail à une expression « arabe » ou « orientale », mais l’inscrit dans une tradition universelle de cinéma politique et poétique.
La critique française joue un rôle déterminant dans cette reconnaissance. Elle lit Nasrallah à travers des références communes : la modernité narrative, le refus du manichéisme, l’attention portée aux corps, aux silences et aux marges. Cette lecture permet à ses films d’exister au-delà de leur contexte national, sans être décontextualisés.
La coproduction comme espace de liberté
La relation de Nasrallah avec la France est également structurelle. Plusieurs de ses films sont coproduits avec des partenaires français, notamment des sociétés indépendantes et des chaînes culturelles comme ARTE France. Cette collaboration ne se limite pas à un soutien financier. Elle offre un cadre de production qui respecte la singularité de son regard et lui permet d’aborder des sujets sensibles — politiques, sociaux, intimes — sans les contraintes de la censure directe ou de l’autocensure implicite.
Dans ce contexte, la France apparaît non comme un refuge, mais comme un espace de liberté créative. Nasrallah y trouve les conditions nécessaires pour développer un cinéma complexe, souvent inconfortable, qui refuse les récits simplificateurs sur l’Égypte, le monde arabe ou les rapports de pouvoir.
Une présence régulière dans les festivals français
Les festivals français constituent un autre pilier de cette relation. Yousry Nasrallah est un habitué des grandes manifestations cinématographiques en France, qu’il s’agisse du Festival de Cannes (dans ses différentes sections), de festivals indépendants ou de programmations cinémathèques. Cette présence régulière contribue à inscrire son œuvre dans le paysage culturel français, non comme une curiosité passagère, mais comme une filmographie suivie, discutée et mise en perspective.
Ces espaces de diffusion permettent aussi un dialogue direct avec le public et les intellectuels français. Les débats qui accompagnent les projections témoignent d’une réception active, critique, souvent exigeante. La France ne consomme pas le cinéma de Nasrallah : elle le questionne.
Un dialogue esthétique profond
Sur le plan formel, le cinéma de Yousry Nasrallah entretient un dialogue évident avec certaines traditions françaises et européennes. Sa narration fragmentée, son refus de la linéarité classique, son usage du hors-champ et de la durée rapprochent son travail d’une modernité cinématographique héritée de la Nouvelle Vague et de ses prolongements.
Mais cette parenté n’est jamais imitation. Nasrallah ne « francise » pas son cinéma. Il intègre ces outils formels pour mieux rendre compte de réalités égyptiennes complexes : la violence sociale, les fractures de classe, les désirs contrariés, les contradictions politiques. La France devient ainsi un interlocuteur esthétique, non un modèle dominant.
La politique sans slogan
L’un des points de convergence majeurs entre Nasrallah et la tradition cinématographique française réside dans le traitement du politique. Chez lui, la politique n’est jamais réduite à un discours explicite. Elle traverse les corps, les relations, les espaces. Cette approche rejoint une conception française du cinéma politique comme cinéma du sensible, où l’idéologie se manifeste dans les détails, les gestes, les silences.
Cette affinité explique pourquoi ses films sont souvent mieux reçus en France que dans des contextes où l’on attend du cinéma politique une posture frontale ou un message univoque. En France, la complexité est perçue comme une force, non comme une ambiguïté.
Ni exil, ni appartenance
Il est essentiel de souligner que la relation de Yousry Nasrallah avec la France ne se traduit pas par une installation définitive ou une revendication d’appartenance. Le cinéaste demeure profondément ancré dans l’Égypte réelle et imaginaire qui nourrit son œuvre. La France n’est pas un substitut identitaire, mais un espace de circulation.
Cette position intermédiaire — ni dedans, ni dehors — confère à son regard une acuité particulière. Elle lui permet de maintenir une distance critique vis-à-vis de son propre pays sans jamais le trahir, et d’être accueilli en France sans être absorbé.
Une relation fondée sur la durée
Ce qui distingue la relation entre Nasrallah et la France, c’est sa continuité. Il ne s’agit pas d’un engouement ponctuel, mais d’un dialogue qui s’inscrit dans le temps long. Film après film, débat après débat, cette relation se construit sur une confiance mutuelle et une exigence partagée.
La France reconnaît en Nasrallah un cinéaste majeur du cinéma contemporain, non parce qu’il représente une altérité séduisante, mais parce qu’il incarne une forme de rigueur artistique devenue rare.
Conclusion
Yousry Nasrallah et la France entretiennent une relation exemplaire, fondée sur le respect, la liberté et le dialogue critique. Cette relation montre que le cinéma peut encore être un espace de pensée transnationale, où les œuvres circulent sans perdre leur ancrage, et où les identités se confrontent sans se dissoudre.
À l’heure où les récits se simplifient et où les frontières culturelles se durcissent, le parcours de Nasrallah rappelle qu’un autre modèle est possible : celui d’un cinéma qui traverse les espaces, non pour s’y réfugier, mais pour y être interrogé.
Bureau de Paris – PO4OR