Faten Hamama Une parole française, un regard arabe : quand la modernité s’exprimait déjà en 1964
En 1964, lorsque Faten Hamama répond aux questions d’un journaliste de la télévision française, elle ne s’adresse pas à l’histoire. Elle parle au présent. Sans chercher à représenter un pays, une cause ou une génération, elle évoque son parcours, sa relation à la langue française, et sa perception de la société avec une précision calme, presque déconcertante. Ce qui frappe, aujourd’hui encore, n’est ni le contexte ni la rareté de l’archive, mais la cohérence d’une parole qui refuse l’emphase et s’inscrit dans une temporalité longue, celle de la pensée articulée.
À cette époque, Faten Hamama est déjà une figure centrale du cinéma égyptien et arabe. Son visage est associé à une élégance morale autant qu’à une exigence artistique. Pourtant, l’intérêt de cette interview ne réside pas dans la notoriété de l’actrice, mais dans la manière dont elle articule, en français, une réflexion sur l’art, la condition féminine et la société, sans emphase ni posture idéologique.
Une langue comme espace de liberté
Lorsque Faten Hamama s’exprime en français, elle ne cherche ni l’effet ni la démonstration. La langue est maîtrisée, fluide, précise. Elle raconte avoir appris le français à l’école, puis affinée à l’écoute de la radio, répétant inlassablement jusqu’à atteindre une aisance naturelle. Ce détail, en apparence anecdotique, est révélateur : la langue devient chez elle un outil d’ouverture, un espace de circulation intellectuelle, non un simple marqueur culturel.
Cette maîtrise linguistique lui permet de s’adresser à un public européen sans intermédiaire, sans traduction, sans filtre. Elle parle d’elle, de son parcours, mais surtout de sa vision du monde. Le cinéma, pour elle, n’est pas un divertissement isolé du réel. Il est un miroir social, parfois discret, parfois frontal, toujours engagé dans son époque.
L’amour, la société, la responsabilité
Interrogée sur l’amour, la politique, la révolution égyptienne encore récente, Faten Hamama ne se dérobe pas. Elle ne théorise pas, ne moralise pas. Elle parle avec mesure, mais avec fermeté. Ce qui frappe, c’est l’équilibre constant entre lucidité et retenue. Rien n’est excessif, rien n’est édulcoré.
Mais c’est lorsqu’elle aborde la question des femmes que l’entretien prend une dimension particulièrement saisissante. Sans slogan, sans revendication spectaculaire, elle formule un constat d’une grande clarté : dans les sociétés orientales, dit-elle, la jeune fille ne bénéficie pas des mêmes libertés qu’en Europe. Elle n’est pas autorisée à aimer librement, ni à choisir son destin sans confrontation. Elle évoque alors une lutte silencieuse, souvent menée au sein même de la famille, et encourage les jeunes filles à faire face à cette réalité.
Ces mots, prononcés en 1964, résonnent aujourd’hui avec une force presque dérangeante. Non parce qu’ils seraient provocateurs, mais parce qu’ils révèlent une continuité historique : les mêmes tensions, les mêmes résistances, les mêmes combats inachevés.
Une modernité sans rupture
Faten Hamama ne se présente jamais comme une militante au sens classique du terme. Sa modernité n’est pas une rupture brutale avec son environnement, mais une avancée progressive, intérieure, construite par le travail, le choix des rôles, la cohérence d’un parcours. Elle incarne une forme de féminité consciente, réfléchie, qui refuse à la fois la soumission et la provocation gratuite.
Cette posture explique sans doute la longévité de son influence. Elle n’a jamais cherché à scandaliser, mais à transformer de l’intérieur. À travers ses films, elle a proposé des figures féminines complexes, dignes, traversées par le doute autant que par la détermination. L’entretien français de 1964 apparaît alors comme une clé de lecture précieuse de son œuvre : la parole publique éclaire le travail artistique, sans jamais l’enfermer.
Une archive qui interroge le présent
Revoir aujourd’hui cette interview, c’est mesurer le décalage entre l’espérance exprimée à l’époque et la réalité contemporaine. Faten Hamama parlait d’un combat en cours, d’une société en mutation. Or, plus d’un demi-siècle plus tard, nombre de ces questions demeurent irrésolues, parfois même aggravées.
Pourtant, le ton de l’entretien n’est ni amer ni désabusé. Il est empreint d’une confiance calme dans la capacité de la société à évoluer. Cette confiance, loin d’être naïve, repose sur l’éducation, la culture, l’art comme leviers de transformation lente mais durable.
Faten Hamama, une figure de transmission
Ce qui rend cette archive particulièrement précieuse pour une revue comme PO4OR, c’est sa dimension transversale. Elle relie le cinéma arabe à l’espace culturel français, la question féminine à une réflexion universelle sur la liberté, le passé au présent. Elle montre que certaines voix, lorsqu’elles sont justes, ne se limitent pas à leur époque.
Faten Hamama apparaît ici non seulement comme une grande actrice, mais comme une passeuse. Une figure capable de traduire une réalité complexe sans la simplifier, de dialoguer avec l’autre sans se dissoudre, de défendre une vision sans jamais l’imposer.
En ce sens, l’entretien de 1964 n’est pas un document nostalgique. Il est un texte vivant, une matière de réflexion toujours active. Une preuve que la modernité arabe ne date pas d’hier, et qu’elle a souvent été portée par des femmes dont la parole, encore aujourd’hui, mérite d’être écoutée avec attention.
Rédaction du Bureau du Caire